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Pesticides : « Nous avons le droit de ne pas être empoisonnés »

Les pesticides sont partout  ! Sur 80 % des surfaces de blé, sur les légumes, les fruits. Le livre de Fabrice Nicolino souligne leur dangerosité.

Il dénonce depuis plus de vingt ans l’usage excessif des pesticides dans notre agriculture, évoquant, livre après livre, la nocivité des produits phytosanitaire et le cynisme des grands groupes agro-chimiques. Après avoir créé, en 2018, le mouvement Nous voulons des coquelicots pour pousser nos élus à interdire les épandages en France, Fabrice Nicolino, 64 ans, publie un nouvel essai* dans lequel il pointe l’enjeu sanitaire que représentent des fongicides très répandus pour combattre notamment les champignons : les SDHI (Succinate DeHydrogenase Inhibitor).

 Le gouvernement vient de lancer une consultation citoyenne au sujet des pesticides. Il promet prochainement un arrêté fixant des règles pour éloigner la pulvérisation de produits sanitaires des habitations. Auriez-vous été entendu  ?

Fabrice Nicolino : C’est une farce  ! Cette grande consultation est une blague. Lors du premier conseil des ministres de rentrée, on sait, grâce à des indiscrétions, que le président a pointé deux catégories de personnes à « ne pas fâcher » : les urgentistes et les agriculteurs. Je ne peux m’empêcher de penser que cette histoire de consultation dissimule un cadeau à la FNSEA. Car soyons clair : le débat qui entoure la distance qui doit séparer les habitations des zones d’épandage est ridicule. Qu’on la fixe à 5 ou 10 mètres, cela n’a pas de sens. Les pesticides ne sont pas statiques. Ils circulent dans l’eau, se répandent dans le sol avec la pluie et se retrouvent même en suspension dans l’air. On croit entendre les discours sur le nuage radioactif de Tchernobyl dont nos dirigeants prétendaient qu’il s’était arrêté, en avril 1986, aux frontières de la France. C’est absurde.

Pourquoi  ?

Mais tout simplement parce que lorsqu’on vaporise un produit dans l’atmosphère, une partie se retrouve à circuler à cause des vents. L’air de nos villes est aussi pollué par les pesticides que celui de nos campagnes. Il n’y a pas que dans les bourgs ruraux que les produits phytosanitaires posent problème. Le combat du maire de Langouët en Bretagne est digne et courageux. Mais la fronde des maires de banlieue en témoigne, les herbicides n’empoisonnent pas seulement nos concitoyens qui vivent dans des régions agricoles. C’est un problème sanitaire national  ! Et je salue ces élus de banlieue qui le répètent, au premier chef desquels figure Florence Presson à Sceaux. Comme je rends hommage aux maires de Gennevilliers, du Perray-en-Yvelines, d’Arcueil ou encore de Malakoff qui militent pour l’interdiction des pesticides.

“Ce n’est pas en éloignant les épandages qu’on va protéger les gens”

C’est le Conseil d’État qui a exigé, le 26 juin 2019, que les autorités édictent de nouvelles règles en matière d’épandage. Pensez-vous que la voie judiciaire soit la seule possible pour se faire entendre de nos dirigeants  ?

La voie des tribunaux n’est pas la seule. Et heureusement. On sait combien l’issue judiciaire est, par définition, aléatoire et incertaine. On connaît les délais importants de la justice. Je crois que notre système démocratique doit nous permettre de régler ce problème différemment. Si chaque citoyen s’empare du sujet et demande des comptes à nos décideurs, nous pouvons trouver une solution. En reconnaissant la dangerosité des pesticides, Emmanuel Macron a mis le doigt dans l’engrenage. Ce n’est pas en éloignant les épandages qu’on va protéger les gens mais en interdisant une bonne fois pour toutes ces poisons.

Vous avez lancé le 12 septembre 2018 le mouvement Nous voulons des coquelicots qui appelle donc à l’interdiction des pesticides. Un an plus tard où en est-on  ?

L’appel a été signé par près de 810 000 personnes. Le mouvement vit. Et je le souligne : il prend de l’ampleur alors même que nous n’avons aucun moyen financier ni soutien d’aucune institution ni d’aucune entreprise. Nous organisons le premier vendredi de chaque mois des manifestations aux quatre coins de l’Hexagone. Tous les mois, ce sont plus de 850 rassemblements qui réunissent au total 25 000 personnes. J’appelais, l’an dernier, à une « insurrection pacifique », car je suis profondément non violent. Mais je crois que nous devons désormais aller plus loin en demandant des comptes à nos élus. La première année, nous avons consolidé nos forces. Nous allons désormais à la confrontation avec nos dirigeants sur ce sujet. Il y a deux siècles, nos aïeux avaient proclamé une déclaration des droits de l’homme. Nous devons y rajouter un article : le droit de ne pas être empoisonnés. Pour ce faire, nous devons retrouver cet esprit révolutionnaire et conduire des campagnes, si besoin, de désobéissance civile. Mais j’en reparlerai le moment venu.

Dans votre dernier livre, vous dénoncez des fongicides (les SDHI). Pourquoi, selon vous, ces inhibiteurs de la succinate déshydrogénase sont-ils dangereux  ?

Ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont huit chercheurs dans le sillage d’un scientifique de renom : Pierre Rustin. Ce chercheur est un spécialiste des maladies mitochondriales. Il est mondialement reconnu. C’est par hasard qu’il découvre les effets nocifs de ces nouveaux fongicides dont le principe actif s’attaque au système respiratoire de tous les êtres vivants. Certes, ces produits éliminent les champignons et les moisissures des récoltes, mais ils font aussi étouffer les vers de terre, les abeilles dont on sait qu’elles ont déjà bien souffert des néonicotinoïdes. Pierre Rustin a constaté en laboratoire que les fonctions respiratoires de tous les mammifères étaient potentiellement menacées par ces produits : de la baleine bleue au tigre en passant par l’éléphant d’Afrique et donc l’homme. Pierre Rustin a tiré la sonnette d’alarme dès 2017. Face au silence des autorités, il a publié une tribune dans la presse pour lancer l’alerte. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’Anses) a été obligée de le recevoir.

Et alors  ?

Pierre Rustin a été convoqué par les experts de l’Anses. Il s’est rendu dans leurs bureaux de Maisons-Alfort avec des collègues. Ce que racontent ces chercheurs est ahurissant. On a moqué leur travail, les interlocuteurs qu’ils ont eu se sont littéralement foutus d’eux. Rustin et ces scientifiques n’avaient pas d’autre objectif que de protéger leurs concitoyens contre un danger. Ils sont ressortis de l’ANSES défaits. Deux d’entre eux m’ont dit que cette réunion avait été la pire expérience de leur vie. Mais comment l’Anses aurait-elle pu réagir autrement  ? Elle avait donné l’autorisation de mise sur le marché des SDHI. Elle n’allait pas se dédire. Quatre experts de cette agence ont rendu, sans surprise, un rapport de 103 pages qui prétend que les SDHI ne présentent aucun risque pour la santé.

“Nous devons impérativement changer de modèle agricole”

Ce fongicide est donc sur le marché  ?

Oui, et depuis 2013. On les retrouve dans les champs de céréales, sur les vignes, sur les arbres fruitiers mais aussi sur les terrains de golf et les pelouses des stades. À commencer par le stade de France. Les enfants qui jouent au foot y sont exposés  !

Vous avez été parmi les premiers, en France, à dénoncer le glyphosate. Certains scientifiques relativisent aujourd’hui les effets de ce produit sur la santé. Que leur répondez-vous  ?

Les conclusions du Centre international de recherche sur le cancer (le Circ) sont sans appel. Libre à certains de pas croire cette agence onusienne. Mais la dangerosité du produit est avérée et bien documentée. Évidemment, vous voyez encore des gens citer des études financées par les groupes agro-chimiques pour contester ces conclusions.

Votre livre dénonce violemment les lobbies agro-chimiques, justement, qui défendent, écrivez-vous, une « industrie criminelle, enfoncée dans le déni et la désinformation ». N’y allez-vous pas un peu fort  ?

Les Monsanto Papers qui ont filtré dans la presse montrent que les dirigeants de ces groupes ne renoncent devant aucune méthode pour discréditer ceux qui soulignent la dangerosité de leurs produits.

Se passer des pesticides est-il vraiment possible  ? L’argument des milieux agricoles consiste à dire que nous ne pouvons plus nous en passer et que le bio, du fait de son coût, n’est pas accessible au plus grand nombre…

Nous devons impérativement changer de modèle agricole. Nous avons mis en place un système pernicieux. Deux exemples  ? En gavant les sols de la Beauce de produits phytosanitaires, nous avons tué cette plaine qui figurait parmi les plus fertiles au monde. Outre-Atlantique les fermes-usines pompent la plus grande nappe phréatique du continent américain : celle d’Ogallala. L’enjeu est considérable. Nous devons à la fois nous préparer à nourrir 10 milliards d’humains en 2050 et arrêter d’empoisonner la planète. Il y a moyen de résoudre cette équation. Cela passe probablement par un retour à la terre. Je rêve d’un pays qui compterait des millions de paysans.

Source : Le Point

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