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L’Information au Liban : Une culture de droit ou la loi de la jungle

Dr Antoine Nasri Messarra

Certains programmes politiques extensifs télévisés au Liban se contentent d’exposer des positions antagonistes vis-à-vis desquelles le spectateur n’a d’autre choix que de se ranger avec telle ou telle partie comme dans un match de football.

Ce genre de programme est une sorte d’éducation quotidienne organisée et suivie, basée sur la dépendance, la subordination, l’allégeance et les positions conflictuelles. Le grand absent est le critère régissant la vie publique, c’est-à-dire le principe de légalité ou la règle de droit, où chaque question sans exception, que ce soit une résolution du Conseil de Sécurité, une procédure gelée dans une administration publique ou un creux dans la rue, est soumise à une règle de droit.

Certes, des journalistes Libanais ont contribué à la diffusion d’une culture légale. Mais  suite à la détérioration de la situation générale, la dégradation de certaines valeurs fondamentales et la propagation d’une mentalité purement consommatrice depuis des années, la diffusion de la culture légale a accusé une régression substantielle dans certaines matières de l’information alors que le Liban a grand besoin de récupérer le pouvoir des critères à tous les niveaux.

L’information libanaise contient un patrimoine et des pratiques exemplaires et d’avant-garde quant à la généralisation d’une culture de droit populaire et la défense des règles démocratiques (par ex. le programme « الشاطر يحكي  » (Que le malin parle), sous la direction de Jenan Mallat et Ziad Njeim, L’annexe du journal Annahar « Les droits des gens » –1995-1998 et le prix du programme de l’UNDP de 1998-2000 pour le meilleur travail médiatique libanais au bénéfice des Droits de l’Homme et du développement).

Par ailleurs, la propagation superficielle de l’idéologie des droits de l’homme a contribué à développer une culture de « contestation » au lieu d’une culture de droit déterminant le ressort légal, la responsabilité administrative et incitant le citoyen à réclamer un droit et exercer un devoir. Le journaliste doit formuler une culture de droit populaire compatible avec chaque cas présenté.

Ceci n’implique pas pour autant l’arrêt des débats politiques mais exige qu’ils soient fondés sur un ressort légal assurant des solutions pacifiques loin de la dépendance et de l’allégeance.

Or la politique dans les débats télévisés n’est que loi de la jungle, conflit, lutte, mobilisation et manœuvres accusant une absence totale de la chose publique, des droits des gens et des règles de droit qui restreignent la tendance à l’accaparement du pouvoir et à la domination.

La règle de droit est le critère régulateur de la vie publique et de la relation de l’individu tant avec les tiers qu’avec le pouvoir. C’est la Constitution et l’ensemble des lois, des législations et des réglementations internes dans les établissements scolaires et les règlements du trafic.

Et c’est exprès que cette règle a été dénommée règle de droit et non règle légale, car elle ne concerne pas toutes les lois dans l’absolu. Certaines de ces lois, surtout dans les pays où le concept démocratique ne s’est pas ancré dans l’esprit des gens et de la classe politique, peuvent être un instrument aux mains des influents pour assurer leurs intérêts aux dépens des autres. Le but de la règle de droit est de réaliser la justice, l’égalité et de résoudre les conflits d’une manière pacifique. C’est le moyen de protéger les faibles contre le pouvoir tyrannique et l’oppression.

La loi a subi une telle déformation qu’elle n’est plus perçue comme moyen de protection. Il est donc impératif de ramener la légalité à sa vocation normale de protection.

La simple mention du ressort de droit contribue à éduquer les gens et à leur rappeler que les solutions pacifiques sont faciles lorsque tous les membres de la société se soumettent aux mêmes règles.

L’éducation fondée sur la règle de droit assure l’Etat des institutions où la justice prévaut quelle que soit l’appartenance, la classe, loin des chefs de file.

La mission de la presse au Liban est en crise parce que les journalistes ne se réfèrent pas aux lois en exposant les développements des nouvelles au Liban.

Les articles et analyses politiques, et notamment télévisés, doivent toujours mettre en lumière les motivations de l’intérêt public. Ils doivent commencer par expliquer les critères de chaque cas à l’instar des pays où la démocratie est devenue une tradition. Nous avons besoin de clarifier le principe de légalité et ses effets.

Ce qu’il faut faire au niveau pratique pour améliorer la qualité légale des nouvelles, c’est de renforcer la culture de droit, car la loi dans la conscience collective libanaise signifie « sanction », tandis que le respect de la règle de droit améliore la qualité de la vie et garantit le développement permanent.

Tout programme d’éducation sur la base du droit, dans le monde arabe et au Liban en particulier, doit prendre en considération le contexte historique et les expériences personnelles pour influencer le comportement. Il est essentiel que le pouvoir légal ne soit pas perçu comme moyen de « répression », mais plutôt comme manière de protéger les droits de l’homme contre l’arbitraire.

Il faut souligner que la presse écrite fournit des efforts loyaux pour renforcer la culture de droit contrairement à certains programmes qui se contentent de transmettre des prises de position et des confrontations sans exposer le problème à l’appui de données, de faits et cas, et sans mentionner le critère relatif à la solution du problème.

Quelles sont les racines culturelles de la mentalité de la loi de la jungle que certains médias généralisent ? L’exercice de la carrière médiatique exige la connaissance des techniques de communication et des diverses méthodes. Mais elle n’est pas suffisante pour assurer la qualité du contenu, l’efficacité de la transmission du message médiatique et la contribution à l’évolution de la démocratie et du développement.

Les principales problématiques posées par l’information mondialement, alors qu’elle est au sommet de son évolution, sont relatives aux contenus, aux valeurs et à son efficacité dans le changement social. Ces éléments sont d’ordre légal, culturel et moral.

Le bagage culturel et moral de l’étudiant provient de son environnement familial, scolaire, politique et social. Ce bagage affecte l’exercice professionnel d’une manière soit négative ou positive. Comment se forme ce bagage dans la société libanaise, quels sont ses effets dans la pratique médiatique et comment le purifier légalement et l’exploiter ?

Nous discernons chez les journalistes:

  1. Un manque de culture générale en application de la règle de l’intérêt humain : Le manque de culture générale littéraire, philosophique et artistique chez les journalistes de la nouvelle génération les transforme en simples transmetteurs de nouvelles. On a de plus en plus besoin du journaliste spécialisé et capable de dépasser l’instantané de la nouvelle.
  2. Une formation politique basée sur les valeurs d’allégeance et de clientélisme : Les méthodes d’éducation intransigeantes, ainsi que les valeurs inculquées par les infrastructures dans la société, la famille, l’école et l’université, contribuent à reproduire les structures du pouvoir dominant. Néanmoins, une évolution éminente s’est produite au cours des dix dernières années : la couverture des nouvelles de la société et la contribution de l’information à la culture de la citoyenneté. Mais plusieurs domaines, et notamment l’information administrative, accusent un manque grave et des tentatives de détourner l’information pour le compte des bénéficiaires des services publics.
  3. Une aliénation culturelle par rapport à la nature de la société libanaise : La  connaissance que les moyens d’éducation transmettent, et notamment l’enseignement universitaire au Liban, concernant les régimes politiques, le régime libanais, la règle de la majorité, l’assimilation nationale, les allégeances primaires, contenir les conflits et le compromis.. conduit à la dissociation (schizophrénie) entre la connaissance administrée et la réalité vécue, et souvent à un complexe de honte quant à la structure politique du Liban et son parcours de changement. L’information au Liban contribue largement à reproduire des slogans et des concepts importés au lieu de pratiquer la critique, de purifier les concepts et démasquer ce que les idéologies généralisent.
  4. L’accent est mis sur la connaissance médiatique dans les facultés et instituts d’entraînement et de formation, tout en négligeant les comportements : On remarque chez les étudiants de fin d’études dans les facultés d’information ainsi qu’au niveau des études supérieures de journalisme, la faiblesse des comportements d’écoute, de dialogue, d’acception de l’avis différent, de discussion et de synthèse entre les opinions qui semblent contradictoires. Il existe un stock culturel positif que les moyens d’éducation transmettent au journaliste libanais et qui contient des traditions solides de pacte et de respect des relations sociales. Ce stock positif a besoin d’être exploité et quelquefois corrigé en accord avec son esprit.
  5. L’image sociale du journaliste chez les étudiants et les nouveaux venus à la carrière de l’information : D’après une enquête de 1985 auprès des étudiants au concours d’admission à la Faculté d’information et de documentation, la profession semble attirante et se caractérise par l’image de vedette, de notoriété et les relations publiques. Les étudiants ne mentionnent que rarement les difficultés techniques de rédaction et les obstacles fonctionnels et financiers. Aujourd’hui par contre, l’impact de l’image de star et des relations a doublé du fait de la propagation mondiale du « loisir médiatique » qu’il faut nettement distinguer de l’information et de ses règles professionnelles et morales. Ce loisir a un effet négatif sur la compréhension et la pratique de la carrière.

Pour récupérer le pouvoir des critères au Liban, il faut:

  1. Consolider la connaissance en profondeur de la nature et des caractéristiques de la société libanaise, de son régime politique, partant d’études comparatives sans aliénation ou complexe d’infériorité ou honte dans les matières d’enseignement.
  2. Inclure dans les programmes, une évaluation des comportements quant à l’écoute, le dialogue, le débat, prêter attention à l’opinion différente, la capacité de présenter un sujet déterminé, de transmettre le message clairement et brièvement, d’introduire, la précision et la crédibilité dans la transmission des renseignements et de vérifier leur exactitude, pour améliorer le comportement.
  3. Participer à des programmes médiatiques renouvelés afin d’orienter l’information vers la démocratie et le développement. Des programmes d’avant-garde ont été organisés au cours des dix dernières années contribuant à développer l’information libanaise vers la « Démocratie de proximité » (pages des régions et municipalités, le patrimoine, l’information administrative, affaires civiles…)

La collection de Michel Abou Jaoudé constitue à cet égard une référence capitale.

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