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« La Chine a combattu ce virus à un prix très élevé »

Pour l’économiste Lawrence Lau, la Chine a bien réagi face à l’apparition du coronavirus. Désormais, il préconise un plan de relance massif.

L’épidémie de coronavirus Sars-2 ne devait provoquer qu’un court arrêt maladie de la Chine, qui plus est durant une période habituelle de relâche, les vacances nationales du Nouvel An chinois. Mais après plus d’un mois de lutte drastique contre l’épidémie, ayant imposé des restrictions de mobilité à plus de 750 millions de Chinois, la reprise de l’usine du monde est beaucoup plus lente que prévu. Maintenant que le virus provoque une pandémie sur plusieurs continents, les marchés financiers s’affolent.

Psychose ? Pas pour Lawrence Lau, professeur d’économie à l’Université chinoise de Hongkong et vice-président du Centre chinois pour les échanges économiques internationaux. L’économiste, qui conseille la Chine sur sa politique pour le commerce extérieur, estime que la pandémie aura un impact de long terme. Selon lui, elle ne pourra pas être « soignée » à coups de baisse des taux d’intérêt, mais seulement par d’ambitieux plans de relance.

Le Point : Certains analystes prédisent que la croissance chinoise sera négative au premier trimestre. Est-ce que la situation économique est si mauvaise que cela en Chine ?

Lawrence Lau : Je ne pense pas que la croissance chinoise sera négative, mais elle ne sera pas très élevée, s’il y en a une. Et même si elle repart très vite, l’épidémie pourrait avoir un impact d’assez long terme. Les gens ne retourneront pas aux mêmes modes de socialisation qu’avant. Cela prendra au moins un an ou deux pour que le secteur de la restauration, la distribution et le tourisme se relèvent. La demande globale, en particulier des ménages, ne sera pas rétablie rapidement. Et cela sera pareil partout dans le monde.

“Nous sommes sur le point d’assister à un désastre humanitaire en Iran”.

De ce fait, ne pourrait-on pas affirmer que la réponse chinoise à l’épidémie a été trop forte, et qu’elle a nui à l’économie plus que le virus lui-même ?

Je ne pense pas. Si vous observez les résultats, l’épidémie hors du Hubei est maintenant totalement sous contrôle. La quarantaine était nécessaire. Bloquer le Hubei a été bon pour la Chine et bon pour le monde. Car, même avec la quarantaine, le nombre de nouveaux cas dans le Hubei et à Wuhan est encore dans les centaines par jour. C’est encore beaucoup. Quand vous avez des infectés non identifiés qui circulent dans une ville de 11 millions d’habitants, c’est sans espoir et bien pire. Regardez le reste du monde. Pour moi, ce qui s’est passé sur le bateau de croisière Diamond Princess est une honte. Comment a-t-on pu laisser cela se produire ? Quelque 4 000 passagers et membres d’équipage, et maintenant 700 sont infectés. Et certains sont toujours coincés à bord ! L’épidémie est en train de devenir hors de contrôle en Corée du Sud. Je ne sais pas si l’Italie pourra la contrôler. Si elle explose à Paris, vous devez dire aux gens de rester chez eux et d’être prudents.

Quel sera l’effet de la pandémie sur l’économie mondiale ?

C’est difficile à dire. Cela dépend de combien de temps cela prendra pour la contrôler. Si elle devient hors de contrôle en Italie, elle aura un impact sérieux sur l’Europe. Les gens disent que la Banque fédérale américaine pourrait baisser les taux d’intérêt. Ça n’a pas de sens en réalité. Une épidémie ne peut pas être soignée par des taux d’intérêt plus bas. Si les gens ne sortent plus, ne consomment plus et ne travaillent ou n’investissent plus, qu’importe que les taux d’intérêt soient bas, nuls ou négatifs ! Vous n’emprunterez pas. Donc, la situation peut devenir très sérieuse. L’Italie, le Japon et la Corée du Sud sont mis à l’épreuve. La Chine a bien géré cela parce qu’elle a le pouvoir administratif et la discipline sociale pour le faire. Est-ce qu’un autre pays développé peut y faire face ? Et nous savons tous qu’un pays en voie de développement ne le peut pas. L’Iran est dans une très mauvaise posture. Nous sommes sur le point d’assister à un désastre humanitaire là-bas. Et il va déborder sur le reste du Moyen-Orient. Le taux de mortalité en Iran est exceptionnellement élevé. C’est à cause du manque de personnel médical, d’infrastructures et de médicaments. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. Maintenant que la situation est meilleure en Chine, j’ai conseillé aux Chinois d’aider l’Iran, d’un point de vue humanitaire.

 

“Baisser les taux d’intérêt sauvera peut-être les marchés financiers, mais pas l’économie”.

Que pouvons-nous faire pour empêcher la mondialisation de s’arrêter complètement ?

En effet, comme la Chine s’en sort très bien pour contrôler cette épidémie, les autorités chinoises risquent bientôt de bannir ou de mettre en quarantaine les personnes en provenance d’autres pays. Parce que la Chine a combattu ce virus à un prix très élevé, et après l’avoir contenu, ils ne vont pas risquer que l’épidémie reparte. Mais on ne peut pas continuer de faire des affaires dans le monde si nous ne pouvons plus voyager. Nous devons restaurer un vieux système : les livrets jaunes de vaccination internationaux qui ne sont plus en usage que pour se rendre dans certains pays frappés par des maladies tropicales comme en Afrique. Grâce à l’informatique, cela pourra être centralisé et mis sous forme digitale. L’Organisation mondiale de la santé devrait le faire. Si j’ai été testé négatif ou que j’ai des anticorps parce que j’ai déjà été infecté et que je ne suis plus contagieux, je ne devrais pas être mis en quarantaine. Nous devons remettre cela en place, si ce n’est pour ce virus, pour le prochain ou pour toute autre maladie, afin de pouvoir voyager librement. Cela ne devrait pas être obligatoire. Vous pouvez toujours préférer passer 14 jours en quarantaine ou ne pas voyager. Chaque pays devrait avoir le droit et le devoir de protéger ses citoyens.

Quelles sont les solutions pour relancer l’économie chinoise ?

Il faut vraiment restaurer la confiance. Il faut que les gens aient de nouveau des attentes positives. Ce sont les attentes qui déterminent l’investissement, pas les taux d’intérêt bas. Ceux-ci n’aideront que si les gens ont des attentes positives. Vous n’emprunterez que si vous pensez pouvoir employer cet argent avec sagesse. Baisser les taux d’intérêt sauvera peut-être les marchés financiers, mais pas l’économie.

Nous ne pouvons espérer un regain des exportations chinoises dans l’immédiat. C’est pourquoi la Chine devrait développer sa demande interne. Le pays doit lancer une campagne de construction d’hôpitaux modernes dans les centres urbains majeurs, et développer la recherche. Cela peut faire tourner l’économie durant les deux prochaines années. Ces infrastructures bénéficieraient à tous. Il en résulterait une distribution bien plus égalitaire de la richesse réelle. Dans la vaste majorité des villes chinoises, il n’y a pas assez de bons centres médicaux.

À cause des perturbations sur la chaîne d’approvisionnement, les grands groupes internationaux prévoient de délocaliser des éléments clés de leur production hors de Chine. Est-ce que cela ne va pas ralentir davantage l’économie chinoise ?

Ce sera sans doute le cas. Mais, d’un autre côté, la Chine va devoir développer ses propres chaînes d’approvisionnement alternatives. Je pense que les gens devraient prendre du recul maintenant et réfléchir à la prochaine phase de la mondialisation. Je ne pense pas que tous les pays vont retourner à l’isolationnisme. La diversification marche dans les deux sens. Comme la guerre commerciale, le coronavirus a l’effet de pousser les gens à repenser ce que nous appelons la mondialisation, et d’accélérer le découplage entre les États-Unis et la Chine. Ce n’est pas une mauvaise chose. Aucun pays ne devrait se fier à une seule source pour ses approvisionnements stratégiques. Pour que la mondialisation continue, nous devons avoir deux sources pour tout.

“Je ne crois pas que la Chine et les États-Unis vont inévitablement s’affronter”.

Est-ce que la Chine a les moyens d’un plan de relance comme en 2008 ? Où trouver ce dont elle a besoin pour le financer ?

Une grande quantité d’argent est en fait dans les mains du privé en Chine. Les banques ont de très grands montants en dépôts. Le plus direct serait donc de financer un plan de relance par des obligations émises par l’État. Quelqu’un doit bien dépenser de l’argent pour faire croître l’économie. Si le secteur privé ne dépense pas, le secteur public doit le faire. La question reste : est-ce que cette dépense sera productive socialement ? Construire plus d’immeubles résidentiels n’aidera pas vraiment. Ce que cette épidémie a montré, c’est que, dans la plupart des zones urbaines en Chine, il n’y a pas assez d’hôpitaux.

 

Comment voyez-vous évoluer la guerre commerciale après cela ? Est-ce que Trump saisira l’épidémie comme une opportunité pour frapper plus durement la Chine ?

Trump a été très clair : il ne veut pas énerver les marchés financiers. Quand il a dit qu’il travaillait à un accord commercial « phase 1 », j’ai su tout de suite qu’il y aurait un accord. Pourquoi ? Parce que dire cela était pour lui une manière de se protéger si les gens devaient penser que l’accord était mauvais. Maintenant, il peut leur dire : attendez l’accord « phase 2 » qui interviendra après les élections américaines de novembre. Il sait que toute mauvaise nouvelle sur le front de la guerre commerciale serait mauvaise pour les marchés financiers. Il veut être élu sur un marché financier en hausse.

Je ne crois pas que la Chine et les États-Unis vont inévitablement s’affronter, contrairement à ce que prévoit Graham Allison dans son livre Vers la guerre. Pour ce professeur de Harvard, une puissance établie devra automatiquement entrer tôt ou tard en guerre avec une puissance montante, pour tenter d’arrêter celle-ci avant qu’elle ne devienne une menace. Mais la guerre de nos jours est tellement dévastatrice qu’il n’y a jamais de vainqueur. Au XXe siècle, l’ex-Union soviétique était la puissance montante et les États-Unis, la puissance établie. Chaque camp a compris qu’il n’y aurait pas de gagnant en cas de guerre. Ils ne se sont jamais déclaré la guerre et ont finalement signé des traités de contrôle des armements. Au XXIe siècle, la Chine est très différente de l’Union soviétique parce qu’elle ne souhaite pas changer les systèmes politiques des autres pays. Précisément parce que la Chine ne veut pas convertir qui que ce soit, cette rivalité n’est pas une menace existentielle pour les États-Unis. En dernier ressort, les deux pays ne se feront pas la guerre. Le PIB chinois sera un jour plus élevé que celui des États-Unis. Mais le PIB chinois par tête continuera d’être plus bas pour longtemps.

Mais est-ce que l’accord de phase 1 reste applicable dans la situation actuelle ?

Il est toujours applicable. Acheter de la viande de porc et du gaz naturel pourra toujours être fait plus tard. Il pourrait y avoir un délai. Mais il n’y a aucune raison que cet accord soit annulé.

Source : Le Point.

 

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