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« Itaewon Class », la série coréenne qui dénonce les discriminations

Énorme succès en Corée du Sud, cette série est l’une des premières productions à mettre en lumière des minorités et les injustices qu’elles subissent.

Vous ne connaissez peut-être pas son nom et encore moins son histoire relayée l’année dernière dans certains médias coréens, mais Suh Kwan-woo est l’un des 30 enfants métis nés de mère libérienne et de père coréen à la fin des années 1980, alors que l’entreprise Daewoo E & C construisait une autoroute entre Monrovia, la capitale du Liberia, et Freetown, celle de la Sierra Leone. Son père avait déjà une épouse et deux filles en Corée du Sud, mais il est resté un an avec la future mère de Kwan-woo. Cette dernière est tombée enceinte et le père est retourné dans son pays. Plus de vingt-neuf ans plus tard, Kwan-woo est parti sur les traces de ce père inconnu.

Son histoire a-t-elle directement inspiré les producteurs de la série Itaewon Class, qui cartonne partout en Corée du Sud et sur la plateforme Netflix ? Nous sommes entrés en contact avec lui. Le jeune homme a regardé Itaewon Class et a eu le sentiment de voir sa propre histoire racontée à l’écran. Il a même remarqué en plaisantant qu’il aurait pu « jouer le rôle de Toni », l’un des principaux personnages de la série et métis comme lui.

L’histoire de Toni, inspirée de faits réels ?

Lorsqu’on découvre le personnage de Kim Toni pour la première fois, il passe un entretien d’embauche pour être serveur dans le pub de Sae-ro-yi. Il n’est pas engagé en raison de son CV, mais grâce à son apparence : Il est noir, il doit donc « forcément » parler anglais, et pourra accueillir la clientèle internationale sans problème.

Sauf que Toni l’a dit dès le départ : il est coréen par son père, guinéen par sa mère, il parle donc coréen et français couramment, mais certainement pas l’anglais. Malheureusement, son annonce est accueillie par des regards sceptiques. Physiquement, il ne ressemble pas à un Coréen et tant que ses papiers n’indiqueront pas clairement qu’il est coréen, il restera juste un étranger dans le pays de son père. Malheureusement, le jeune homme se trouve dans une situation délicate puisqu’il est justement venu à Séoul pour retrouver son père. Ce dernier vivait en Guinée avec lui et sa mère, mais, un jour, il est retourné en Corée et n’a plus donné signe de vie.

Tout est parti d’un webtoon (bande dessinée coréenne en ligne) dont est adaptée la série. Le réalisateur a mis toutes les chances de son côté en choisissant pour le rôle principal Park Seo-joon – l’un des acteurs les plus populaires du moment – et en demandant à Kwang-fin, l’auteur du webtoon original, de s’occuper de l’écriture des épisodes, sans l’aide de scénaristes professionnels, fait plutôt inhabituel.

Initialement, le personnage de Toni n’existait pas dans la bande dessinée. « Je sentais que certains éléments manquaient dans le webtoon et que c’était l’occasion d’y remédier par moi-même à travers la série », a expliqué à la presse l’auteur de la BD en ligne. « Il y a beaucoup d’histoires que je ne pouvais pas raconter dans la version originale. »

Des personnages en marge

En elle-même, l’intrigue est prenante, mais si Itaewon Class a conquis le cœur des téléspectateurs, c’est en grande partie grâce aux protagonistes :

Park Sae-ro-yi, un ancien détenu, décide d’ouvrir un pub à Itaewon, un quartier branché de Séoul. Son objectif ? Prospérer et devenir assez puissant pour se venger du clan Jang. Cette famille, qui est à la tête d’une chaîne de restaurants renommée, a ruiné ses projets d’avenir et est à l’origine de la mort de son père.

Pour accomplir cette vengeance au long cours, il va être épaulé par ses employés : une surdouée sociopathe, un ancien camarade de cellule, un chef cuisinier transgenre et Toni, un Guinéen d’origine coréenne.

Les inégalités et les tabous de la société sont exposés au grand jour à travers ces cinq jeunes. Considérés par la société comme des marginaux, ils luttent pour s’émanciper, chacun à leur manière.

Il est rare de voir autant de « diversité » dans un seul et même drama (nom donné aux séries asiatiques) et c’est enthousiasmant. D’autant plus que cette galerie de portraits représente aussi ce qu’est la Corée d’aujourd’hui. La proportion d’immigrés a doublé ces dix dernières années pour représenter 4 % de la population sud-coréenne. Mais la discrimination est forte et souvent assumée. Il n’est pas rare d’entendre dans les transports en commun des gens accusant ouvertement des étrangers d’être sales ou de sentir mauvais. On leur refuse parfois l’entrée des restaurants.

La réalité sans fard

Invité dans l’émission Tea Time with David sur YouTube, Chris Lyon, l’acteur américain qui interprète Toni, a indiqué : « Qu’ils s’agissent de Noirs ou de n’importe quelle autre personne de couleur, il est vraiment très rare de nous voir représentés dans des rôles principaux à l’écran. Et ce n’est pas juste une question d’ethnicité, mais aussi d’orientation sexuelle, de minorités en général. » Le jeune homme vit en Corée depuis six ans maintenant et il maîtrise presque parfaitement la langue coréenne. Producteur de musique, il est devenu acteur depuis peu. Quand il a appris qu’il avait décroché le rôle de Toni, il raconte qu’il était « sur une autre planète ». « Ce n’est pas tous les jours qu’un rôle comme ça se présente », a-t-il souligné. « J’ai trouvé que c’était une énorme avancée. » En effet, le personnage de Toni permet d’aborder de front des problématiques généralement absentes des dramas coréens, à savoir le racisme et la discrimination. Il va notamment se faire refouler d’une boîte de nuit qui interdit l’entrée aux clients « originaires d’Afrique et du Moyen-Orient ».

Dans la vraie vie, Chris Lyon a déjà vécu de telles scènes à plusieurs reprises : « Parfois, on vous dit en face : “Ici, on n’accepte pas les Noirs”, parfois, on va plutôt dire “les étrangers”. Généralement, l’argument avancé est que, par le passé des étrangers auraient causé des ennuis. Avec ce genre de scènes, la série a essayé de coller au plus près de la réalité, sans chercher à en adoucir les aspects déplaisants. »

Itaewon, un quartier multiculturel

Situé à Séoul, dans l’arrondissement de Yongsan, le quartier Itaewon est réputé pour être le plus cosmopolite du pays, au point d’être parfois surnommé « le village international de Corée ». Itaewon s’est construit autour d’une base militaire américaine dans les années 1950 et, au fil du temps, a connu un développement commercial important. Aujourd’hui, de nombreux expatriés y résident et le quartier est fréquenté aussi bien par des touristes que par des Coréens. Des cultures et des traditions du monde entier imprègnent les restaurants, les pubs, les clubs et les boutiques d’Itaewon. De fait, certains étudiants africains que nous avions rencontrés à Séoul l’année dernière nous avaient expliqué que, pour eux, c’était en quelque sorte un lieu incontournable : c’est à Itaewon qu’ils se rendent pour se faire coiffer, par exemple. Quand Bethel, qui vient d’Éthiopie, a le mal du pays, elle mange dans un resto éthiopien situé dans ce quartier. Quant à Shanice, originaire du Burundi, elle expliquait qu’à Séoul elle avait parfois presque « l’impression d’être en Afrique » grâce à Itaewon. Lorsqu’elle veut préparer un repas « à l’africaine », elle va y faire ses courses, même si les ingrédients n’ont pas toujours exactement « le même goût ».

Source: Le Point.fr

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