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« La PAC paie plus que sa part du Brexit »

L’eurodéputée Anne Sander (LR, PPE), rapporteuse sur une partie de la politique agricole commune, tire la sonnette d’alarme sur les coupes budgétaires.

À quelques jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture, la discussion du Conseil européen sur le futur budget européen met en émoi le monde agricole. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs demandent à Emmanuel Macron de ne pas céder à la proposition baissière du président du Conseil, Charles Michel. Anne Sander, eurodéputée LR/PPE, rapporteuse sur une partie de la politique agricole commune (PAC), s’inquiète pareillement de la situation des agriculteurs au moment où on leur demande de s’adapter à de nouvelles contraintes environnementales.

Le Point  s’est entretenu avec Anne Sader :

Le Point : La PAC fait partie des budgets en baisse sensible (- 13 %) dans le futur budget européen septennal. Si on en reste là, quelles seront les conséquences pour les paysans français ?

Anne Sander : Les responsables politiques doivent avoir le courage d’assumer cette réalité. Les conséquences pour les paysans français seront directes. La baisse budgétaire du premier pilier de la PAC qui apporte un soutien direct au revenu agricole est sèche, car ce soutien est financé à 100 % par des crédits européens. Selon l’importance de la part des aides dans le revenu de certains secteurs, la perte risque d’être modeste ou dramatique, mais elle reste quasiment automatique pour le revenu agricole. Je pense notamment aux secteurs de l’élevage, où les aides de la PAC représentent près de 100 % des revenus des éleveurs et parfois plus. Parallèlement, la perte sur le deuxième pilier de la PAC qui apporte un soutien à la protection de l’environnement, à l’investissement ou encore au développement rural sera difficilement compensable, car seuls les pays riches auront les marges nécessaires pour compenser les coupes consenties par plus d’argent national. Aurons-nous cette capacité ? Je pose la question.

La diplomatie française a-t-elle été influente pour défendre la PAC ?

Nous partons de loin, tant la proposition de la Commission était sévère en termes de réduction du budget agricole ; en cela je veux croire que la diplomatie française a tenté d’infléchir les choses. Mais est-ce suffisant ? Nous avons le droit de nous interroger. La proposition de Charles Michel, président du Conseil européen, se situe à mi-chemin entre la proposition précédemment faite par la Finlande, lors de sa présidence du conseil des ministres en octobre dernier qui proposait 5 milliards de plus pour la PAC sur sept ans et celle initiale de la Commission qui envisage 5 milliards de moins. L’une comme l’autre avançaient une coupe substantielle.

Les chiffres ne mentent pas, mais souvent ceux qui les utilisent leur font dire ce qu’ils souhaitent. Il y a par conséquent beaucoup de débats sur les chiffres et sur l’ampleur des coupes proposées selon que l’on calcule le budget européen en euros constants avec pour référence l’année 2018 ou en euros courants prenant en compte l’inflation. Selon l’un ou l’autre critère, la perte est de 53,5 ou de 22,8 milliards d’euros. Mais cette réduction opérée par la prise en compte de l’inflation qui élève les contributions des États membres au cours de la période budgétaire est en partie artificielle, car l’inflation augmente aussi les charges des agriculteurs au fil du temps et par conséquent la valeur économique de l’aide baisse. Cela revient à demander aux agriculteurs de compenser cette baisse de valeur des aides par des gains de productivité.

Il convient aussi de rappeler que la contribution nette des Britanniques à la PAC sera manquante à partir de 2021, soit 19 milliards de ressources en moins pour la PAC au cours des sept ans à venir.

Mais même en adoptant ce raisonnement de budgétaires, et quelle que soit l’hypothèse de base, il est clair que la PAC paye plus que sa part du Brexit. Elle est utilisée pour financer les nouvelles politiques de l’Union, dans un contexte où nos agriculteurs devront endosser de nouvelles exigences et surcoûts environnementaux issus de la nouvelle PAC et du « Pacte vert » [la réduction des émissions de carbone, NDLR].

Le Parlement peut-il réellement résister aux propositions du Conseil, donc des États membres qui sont les payeurs ?

Le Parlement devra jouer son rôle dans un esprit de responsabilité, il dispose du vingt-huitième veto de l’Union dans cette affaire, au même titre que chacun des États membres. Cela lui donne la capacité d’avoir le dernier mot. Le risque de veto parlementaire est d’autant plus palpable que c’est un Parlement qui a une volonté farouche de s’affirmer dans le jeu institutionnel face à un Conseil européen dominateur et une Commission européenne affaiblie.

En effet, les députés européens, représentants des citoyens européens, se doivent de défendre l’adéquation des ambitions et des moyens mobilisés. Je pense que l’Union se délégitimerait à faire de grandes annonces en matière de transition environnementale et numérique de notre économie ou encore dans le domaine de la défense, de la sécurité et de la gestion des migrations pour ensuite décevoir ou faire trop peu trop tard par manque de moyens matériels. Les citoyens européens ne comprendraient pas que la destinée d’un continent soit réduite à une discussion comptable digne d’un syndicat de copropriété. Aussi, il est grand temps de sortir de la logique du juste retour budgétaire de la contribution nationale, qui intergouvernementalise le débat et le transforme en combat de boxe entre les contribuables de chacun des pays membres. Nous devons mettre en place des ressources autonomes de l’Union rapidement. C’est d’ailleurs l’une des avancées appréciables de la proposition du président du Conseil européen.

Une renationalisation partielle des aides aux agriculteurs est-elle possible ou souhaitable ?

Elle est certainement une voie à laquelle certains songent quand de grands États membres considèrent que la PAC leur coûte trop cher par rapport au financement autonome que leur demanderait une politique agricole nationale tandis que d’autres États souhaitent surtout bénéficier des transferts budgétaires de l’Ouest vers l’Est sans trop respecter un minimum de règles communes. Mais, soyons responsables ! Cela n’est en aucun cas souhaitable car la PAC, c’est la garantie pour nos agriculteurs du fonctionnement du marché intérieur, d’une égalité de traitement et d’un lissage des distorsions de concurrence.

Il faut pourtant l’admettre, la pente est déjà présente dans la proposition de réforme de la Commission européenne qui décentralise à l’excès la gestion de la politique agricole commune en proposant aux États membres de concevoir de manière très détaillée et dans le cadre d’un cadre commun européen relativement lâche leur stratégie agricole nationale. La proposition de la Commission vise aussi à laisser à chaque État membre la possibilité de définir ses propres règles en matière de contrôle sur la manière dont les aides sont versées par les États membres et sur le respect des conditions d’éligibilité à respecter par les agriculteurs. Cela fait planer des doutes sur la protection effective des fonds de l’Union contre la fraude.

En tant que négociatrice du groupe PPE sur la réforme de la PAC, je me bats à l’heure actuelle pour rétablir un minimum de règles et de contrôles communs, c’est une garantie de protection pour nos agriculteurs tant en matière de règles à respecter que de traitement équitable d’un pays à l’autre.

Le « Pacte vert » implique de revoir totalement notre agriculture. Est-ce qu’il existe un modèle économique pour une agriculture qui soit moins intensive, respectueuse les sols et permette à l’Europe l’autosuffisance alimentaire ?

Le « Pacte vert » est la promesse d’un nouveau contrat social pour accompagner la transition de nos économies vers plus de durabilité. Nos modèles agricoles sont appelés à évoluer, néanmoins je constate tous les jours sur le terrain la prise de conscience, les efforts déjà consentis et les progrès réalisés par nos agriculteurs en la matière. Tout l’enjeu de la discussion en cours tant sur la réforme de la PAC que dans le cadre de la stratégie de la « fourche à la fourchette » qui sera annoncée le mois prochain est celle de l’articulation entre deux objectifs considérés souvent comme contradictoires, mais qui doivent être complémentaires, à savoir soutenir une production agricole compétitive qui assure l’autosuffisance alimentaire tout en garantissant une utilisation durable des ressources naturelles.

La question fondamentale pour l’avenir de l’agriculture européenne est finalement comment produire mieux et plus avec moins. Je ne souhaite pas opposer les modèles, mais nous voyons bien que tout le monde ne peut passer en agriculture biologique. Celle-ci ne doit pas non plus être considérée comme la solution fourre-tout.D’ailleurs, vouloir faire par la réglementation de l’agriculture biologique le standard de base de toute l’agriculture serait mortifère pour ce secteur, cela détruirait toute la valeur commerciale qu’il a patiemment construite et mènerait les fermes bio dans une impasse économique. D’autres itinéraires techniques existent et sont aussi très valables : l’agriculture raisonnée ou encore le smart farming. Je suis, à ce titre, persuadée qu’une partie de cette réponse en termes de réduction de l’usage des intrants ne se trouve pas dans l’idéologie et la contrainte mais dans l’incitation, la recherche, l’innovation et les nouvelles technologies. Trop souvent l’idéologie a mené nos agriculteurs dans des impasses techniques et a été finalement contreproductive. Nous le voyons bien en ce moment en France avec le rétropédalage en cours du gouvernement et de la majorité sur le glyphosate.

Source : Le Point.fr

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