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Poutine s’attaque à Wikipédia

Le chef du Kremlin veut remplacer Wikipédia par une « grande encyclopédie électronique russe » plus conforme au régime, mais le projet, lancé en 2016, patine.

Vladimir Poutine entonne à nouveau le refrain de « l’Internet souverain ». Cette fois, le monstre numérique pointé du doigt a pour nom Wikipédia. « Il faut le remplacer par une grande encyclopédie électronique russe », a déclaré le maître du Kremlin.

L’injonction présidentielle est tombée le 5 novembre lors d’une table ronde consacrée à l’avenir de la langue russe. Le recteur de l’université d’État de Saint-Pétersbourg se plaint alors de l’attitude des magistrats trop enclins à rédiger leurs jugements selon des règles de droit trouvées dans Wikipédia plutôt que dans les manuels juridiques. « Avec une telle encyclopédie, on aura au moins des informations fiables présentées sous une forme moderne », promet Poutine.

L’affaire n’est pas nouvelle. Les autorités planchent sur le projet d’un concurrent de Wikipédia depuis 2016. À l’époque, le chef du gouvernement Dmitri Medvedev charge même son vice-Premier ministre Sergueï Prikhodko de bâtir une gigantesque base de données. Objectif : protéger les internautes des « falsifications générées par les médias et les particuliers dans les domaines historiques, démographiques, statistiques ».

Autrement dit, rétablir les vérités assénées par « la propagande de l’Ouest ». Un budget est alloué : 1,9 milliard de roubles (27 millions d’euros). Sauf que le chantier patine. Le vice-Premier ministre, responsable de la mission, se débat dans un scandale de pots de vin liés aux activités américaines de l’oligarque russe Oleg Deripaska. Dans une vidéo, il apparaît à ses côtés, à bord de son yacht, accompagné de prostituées.

Résultat, le grand dessein encyclopédique est au point mort depuis bientôt deux ans. Jusqu’ici, seuls 80 000 documents en constituent le stock. Un volume modeste face aux 1,6 million d’articles en cyrillique proposés par Wikipédia. Et de quoi alimenter les soupçons sur la destination des fonds. « Ça pourrait s’appeler : comment voler près de 2 milliards de roubles ? » persifle le journaliste Sergueï Parkhomenko sur la radio Écho de Moscou. Le patron de la branche russe de Wikipédia, Stanislav Kozlovsky, lui, craint une opération de censure à travers la relance du projet. « Est-ce que ça signifie que l’on veut bloquer Wikipédia ? J’espère que le président ne l’entend pas ainsi. »

Une certitude : le Kremlin déploie tous ses efforts pour rendre le Web russe étanche. À l’image du réseau chinois désormais doté de sa propre messagerie WeChat et dont les architectes sont régulièrement consultés par Moscou.

Poutine a fixé le cap dès 2014 en qualifiant Internet de « projet de la CIA ». Et sa défiance ne cesse de croître depuis le succès des vidéos anticorruption postées sur YouTube par l’opposant Alexeï Navalny. En 2018 l’agence Roskomnadzor, forte de 3 000 employés et chargée de surveiller la diffusion des informations sur le Web a restreint les accès de 650 000 sites. En 2015, Wikipédia a même disparu des écrans durant une nuit à la suite d’une décision de justice ordonnant la fermeture d’une page relative à la consommation de cannabis. Mais Roskomnadzor a surtout tenté de bâillonner la messagerie Telegram, créée par la Russe Pavel Dourov. Une offensive vaine. Malgré son interdiction, Telegram a vu le nombre de ses utilisateurs bondir de 7,2 millions à 9,3 millions.

Quant aux lois destinées à punir les voix critiques sur le Net, elles s’empilent. La dernière remonte à janvier. Elle prévoit de sanctionner tout « manque de respect à la société, au gouvernement et aux symboles de l’État russe ». Un texte suffisamment vague pour laisser les tribunaux sévir à leur guise.

Source : Le Point

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